INTÉRET GÉNÉRAL

La fabrique de l'alternative

#19

Souveraineté numérique : reconquérir et protéger - Les 4 piliers d’une stratégie planifiée et intégrée.

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Cette note est le fruit d’une collaboration inédite entre le laboratoire d’idées Intérêt général et le collectif X-Alternative.
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GAFAM, Twitter, Uber et autres géants du numérique ont envahi nos existences. Ils ont structuré des pans entiers de nos sociétés, de l'économie à la politique, de la recherche aux médias, et même nos vies privées, en passant par-dessus les limites démocratiques et étatiques ordinaires. Il est devenu nécessaire de s’en émanciper autant que possible.

Un écosystème numérique souverain repose sur des fondamentaux : les matières premières, les composants électroniques, le réseau, le système d'exploitation et les logiciels. S'il est devenu impossible de développer seul une pile matérielle ou logicielle complète, ne maîtriser qu'une portion si mince de cet écosystème est irresponsable. Face à l'absence de maîtrise de la conception et de la production de la filière, et à un contrôle législatif et douanier déficient, il nous faut acter l'échec des politiques menées depuis 30 ans. Elles nous ont conduits, d'une part à nous appuyer sur les stratégies court-termistes des start-ups, et de l'autre à dépendre des empires américains et chinois qui se sont taillé la part du lion. Intégrons aussi les contraintes écolo-climatiques et l'insoutenabilité de la consommation énergétique du secteur numérique – de toute urgence.

Le terme dématérialisation est trompeur. Fabriquer un appareil à haute teneur électronique mobilise de 50 à 350 fois son poids en matières premières. Un ordinateur nécessitait une vingtaine de matériaux dans les années 80, contre une soixantaine aujourd'hui. La maîtrise du numérique passe par celle de la chaîne d'approvisionnement en ressources terrestres, que même l'Union européenne juge critique. Or, la Chine extrait 95% des terres rares et 50 % de treize autres minerais consommés dans le monde, l'Afrique du Sud domine la production de platine, le Chile celle du niobium, la République démocratique du Congo celle du cobalt. Les régions qui ont délibérément abandonné les activités extractives, comme l'Europe, affrontent celles où le coût du travail est le plus bas et la concentration en matériaux la plus élevée. L'ouverture de mines en Europe est devenue un enjeu majeur. Si on n'extraira pas ici l'ensemble des ressources nécessaires, nous pouvons le faire en partie. Il faudra constituer des stocks stratégiques, limiter notre consommation et contrôler nos exportations hors-UE, ceci dans le temps long d'une stratégie de rattrapage. Puis admettre que notre niveau de rentabilité ne sera pas semblable aux standards mondiaux actuels, et enfin, minimiser l'impact environnemental d'une telle activité pour emporter le consentement des populations locales, et donc se former en toxicologie et prévention des risques. En parallèle, il faut organiser une véritable industrie de recyclage : les matériaux récupérés constituant les gisements de demain. Mais ces nouveaux savoir-faire seraient utilement exportables chez nos partenaires stratégiques potentiels à travers le monde.

En matière de conception de processeurs, les Britanniques disposaient avec ARM d'un acteur central. Racheté en 2016 par le japonais Soft Bank, ARM a toutefois conservé son ancrage à Cambridge et ses centres de R&D en Europe. De son côté, la Commission européenne a lancé en 2015 le projet European Processor Initiative (basé sur une architecture ARM), et l'a doté d'un milliard d'euros, envisageant de confier sa production au taiwanais TSMC. Entre temps Soft Bank a mis ARM en vente et le géant américain NVIDIA a vu son offre acceptée. Ceci fait craindre le départ du siège et des centres R&D aux États-Unis, ce qui signerait la perte de compétences dans la conception de processeurs à l'échelle européenne, et la mort dans l'œuf du projet EPI. Il faut donc racheter ARM, le temps de validation par les autorités régulatrices laissant une fenêtre pour une contre-offre à composante franco-britannique.

Les États-Unis investissent 50 milliards de dollars dans l’industrie des semi-conducteurs, Intel en dépense 20 dans de nouvelles usines de puces, la Chine empile ses plans quinquennaux :la compétition entre Américains et Chinois laisse l'Europe sur la touche. La stratégie opérée pour le rachat d'ARM pourrait s'appliquer pour une prise de contrôle conjointe de ST Microelectronics par les états français et italien via une holding commune ; un partenariat avec TSMC pour la production serait alors conditionné à des investissements en Europe, par exemple sous la forme d'une unité de production pour alimenter le marché intérieur des supercalculateurs. Il faudra également relancer une filière de recherche fondamentale associant universités, grandes écoles et industries du secteur afin de combler le retard accumulé et de disposer d'une solution industrielle complémentaire à TSMC – c'est la stratégie adoptée par la Chine pour contrer l'embargo américain.

On attribue le développement d'internet à la concurrence, mais c'est essentiellement le fruit de la recherche publique, des universités américaines et européennes et des opérateurs publics nationaux, et d'une véritable politique de planification (la Bataille du téléphone chère à Giscard d'Estaing dans les années 1970) – aujourd'hui on abandonne au privé nos fleurons du numérique (Alcatel, numéro un mondial en 2000, en passe d'être démantelé par Nokia). Si les initiatives privées ont permis des innovations de type Freebox, elles engendrent aussi des surcoûts (marketing, gestion, dividendes) et laisse des zones blanches car non rentables. En encourageant les opérateurs privés à déployer leurs propres réseaux, on a aussi fait face à leur empreinte écologique et à leurs contraintes d'interconnexion. Au passage, on note une dégradation de la qualité et de la pérennité des infrastructures privatisées, là où le réseau mis en place par l'État était mondialement salué. L'accès au réseau, droit fondamental, doit reposer sur un service public. Du fait de la libre circulation des capitaux, la taxation des plateformes type GAFAM, pour indispensable qu’elle soit, ne suffirait pas à financer les infrastructures, ni à modifier les rapports de force entre États et multinationales. Nationaliser les infrastructures de télécommunication, les regrouper au sein d'un acteur unique, est indispensable. Nous proposons que les fournisseurs d'accès (FAI) opèrent sur un tel réseau public, en complément d'un FAI social garantissant l'accès universel au réseau. Les opérateurs privés souhaitent actuellement (visiblement) se débarrasser de leurs infrastructures. C'est le moment idéal, là encore, pour que les États les leur rachètent. Sans quoi on mesurera, dans 10 ans, les conséquences de la chasse aux coûts et du recours à la sous-traitance mise sous pression.

Nos administrations, CHU, universités et nos PME industrielles fonctionnent aujourd’hui avec des logiciels obsolètes, abandonnées par des prestataires qui ont soit connu la faillite, soit des rachats successifs. Dans la logique austéritaire actuelle, les directions de ces établissements doivent renoncer aux investissements nécessaires et parfois peu couteux. La rareté des compétences relatives au logiciel place les acheteurs en position de faiblesse. Pour rééquiper nos administrations et nos PME, nous pouvons nous appuyer sur les efforts de la communauté du libre depuis les années 1980. La commande publique, et celle des PME (subventionnée, peut financer les développements et permettrait, à nouveau, de se libérer de la dépendance aux tiers.

Ainsi, QWANT (moteur de recherche souverain) et OVH (hébergeur) s’intégreraient dans une stratégie de reconquête, de même que la constitution d’un “Pole public du logiciel” (PPL). Celui-ci serait constitué d’ingénieurs fonctionnaires hautement qualifiés en charge de développer au sein de l’écosystème libre, aujourd’hui majoritairement alimenté par les multinationales du numérique. En parallèle, une DSI de l’État, rééquipée techniquement, aurait pour mission de grouper les achats et de déployer et maintenir les solutions développées par le PPL.

De manière générale, l’emprise du marché et des grands groupes privés sur la technique et nos moyens de communication doit cesser. Ces bornes s’appellent la démocratie et l’écologie.

  1. MATIÈRES PREMIÈRES : ASSURER UN APPROVISIONNEMENT VIABLE ET ÉCOLOGIQUE
    1. Situation
    2. Solutions
      1. Mines
      2. Recyclage
  2. COMPOSANTS – PROCESSEURS : CONCEVOIR LOCALEMENT
    1. Conception
    2. Fabrication
  3. RÉSEAU : UN SERVICE PUBLIC DE L’ACCÈS À INTERNET
    1. Situation
    2. Solutions
    3. Quel contenu à ce gouvernement des échanges ?
      1. Imposition
      2. Nationalisation et rationalisation
      3. Composants réseau
  4. LOGICIEL : POUR DES OUTILS LIBRES, SÛRS ET SOUVERAINS
    1. Systèmes d’exploitation, compilateurs, bureautique
    2. Mutualisation pour les administrations et les PME
    3. Recherche Internet, cloud
    4. Sécurisation

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