Le système électrique de la France doit être profondément transformé dans les années à venir. Les besoins en électricité vont augmenter, même avec des politiques de sobriété énergétique, notamment pour participer à l’indispensable décarbonation de l’ensemble des activités du pays qui doit être complétée d’ici 2050 au plus tard. Les centrales nucléaires qui assurent jusqu’à maintenant 70% de la production électrique seront quoi qu’il arrive fermées pour la plupart d’entre elles en 2050 (voir l’épisode I). Il est donc indispensable de prévoir dès maintenant le développement de nouveaux moyens de production d’électricité.
Dans ce cadre, cette note adopte une approche émancipatrice et antilibérale, qui considère la bifurcation écologique et la justice sociale comme les grandes priorités de notre pays. Au vu des enjeux soulevés par l’avenir de notre système électrique - faire face au changement climatique, conserver un approvisionnement stable en électricité, bâtir une société plus juste - cette transformation, incroyablement difficile, ne peut être conduite que si l’État français possède les leviers nécessaires pour la mener à bien. C’est l’enjeu de la planification que détaille cette note.
Planifier démocratiquement par référendums. La planification de la transformation du système électrique devrait, pour être collectivement comprise et acceptée, être délibérée et décidée au niveau national, puis déclinée et organisée au niveau local. Au niveau national, la planification nécessiterait la mise en place d’un voire de plusieurs référendums, avec notamment un référendum initial au plus tard un an après l'élection présidentielle, qui pour faire l’objet d’un choix éclairé devrait être précédée de plusieurs mois de débats publics et de Conventions Citoyennes pour l'Énergie. Ce référendum devrait porter sur l'ensemble du système énergétique et non pas seulement sur le système électrique, ou tel ou tel moyen de production d’électricité. Ce référendum permettrait aux citoyennes et aux citoyens de s’informer, de débattre des enjeux climatiques et énergétiques et d’exprimer un choix au regard des objectifs d’atteinte de la neutralité carbone, de la voie à suivre pour l'atteindre, incluant des mesures de sobriété énergétique et la prise en compte de risques acceptables ou non. Au niveau local, des instances départementales de l’organe de planification pourraient être dotées d’un pôle dédié à l’organisation d’ateliers populaires où les enjeux citoyens pourraient être exposés de manière contradictoire et feraient l’objet de débats et de délibération. S’il revient à l’échelon national de décider des grands objectifs, les ateliers populaires pourraient devenir des lieux-ressources pour élaborer la contribution communale à la transition.
Recréer un pôle public de l’électricité. La poursuite de la libéralisation à outrance du secteur ne peut que mener à des dysfonctionnements majeurs du système électrique. Dans la logique d’un État stratège écologique, il est nécessaire de recréer un pôle public de l’électricité (pouvant être étendu à un pôle public de l’énergie) pour faciliter la construction de nouveaux moyens de production d’électricité avec un coût du capital inférieur à ce qu’il serait avec des investisseurs privés. Cela permettra de simplifier la coopération entre les gestionnaires du réseau de transport et de distribution qui seraient réintégrés avec ce pôle public. Cela impliquera également une diminution du prix de l’électricité facturée au consommateur avec la suppression de fournisseurs d’électricité privés, qui mènent actuellement une activité artificielle et dans certains cas purement spéculative, décorrélée des capacités de production.
Faciliter la propriété collective et locale de moyens de production d’énergie renouvelable. Un producteur national majoritaire pourrait cohabiter avec des coopératives ou des structures publiques locales de production d’énergie, à condition de les inscrire dans une planification publique et d’harmoniser le statut de leurs travailleurs avec le statut unique du secteur. Favoriser la propriété et la gestion locale des moyens de production d’énergie renouvelable par des citoyens agissant seuls ou se réunissant en coopératives donnerait aux citoyens la possibilité de s’approprier des enjeux de la transformation du système électrique - efficacité, sobriété, etc. - et d'expérimenter à l’échelle locale les enjeux de la production d’électricité.
Sortir du marché et établir un système intégré. Chaque mois apporte de nouvelles illustrations de l’incapacité du marché à gérer correctement le système électrique, malgré les multiples inventions bureaucratiques mises en place pour tenter de réparer cette organisation par nature inadaptée au système électrique. Sortir du marché représenterait également l’assurance de respecter des normes environnementales et sociales ambitieuses. Dans ce système intégré, le pôle public de l’électricité pourrait anticiper la production optimale, réaliser les investissements indispensables sur le long terme et mettre en place une progressivité des tarifs de l’électricité.
Décarboner le plus vite possible. La sortie des énergies fossiles et la décarbonation de notre société sont un impératif premier pour limiter le réchauffement climatique à un niveau soutenable, faire baisser drastiquement le nombre de décès prématurés liés à la pollution de l’air, et limiter notre vulnérabilité à des pénuries de pétrole et de gaz ainsi qu’à des conflits géopolitiques. Au vu du peu de temps restant avant 2050, il n’est pas envisageable de miser sur des moyens de production qui ne sont pas matures industriellement et dont le déploiement serait trop long pour permettre l’atteinte de la neutralité carbone : fusion nucléaire, captation et capture de carbone, moyens de production renouvelables au stade de la R&D, etc.
Les enjeux posés par une sortie conjointe des énergies fossiles et du nucléaire. Faire le choix de sortir des énergies fossiles et du nucléaire implique d’être conscient des difficultés que cela crée pour pouvoir y faire face, sur les plans industriels, technologiques, économiques et sociaux : investissement, financement de la recherche appliquée, mesures de sobriété et d’efficacité énergétique, risques de développement industriels trop lent, progrès technologique attendu concernant le stockage long-terme d’électricité et les flexibilités, maintien d’un approvisionnement stable en minerais critiques. L’échec d’un scénario 100 % renouvelable se traduirait politiquement par un nécessaire arbitrage entre les différents objectifs que le scénario initial comptait concilier : la décarbonation, la justice sociale et la sortie du nucléaire. Cette situation doit être impérativement évitée. Cela implique également d’assurer a minima que la fermeture d’une centrale nucléaire ne mette pas en danger la stabilité du système électrique et ne conduise pas à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.
Mettre concrètement en place la sobriété énergétique. À l’échéance 2050, date butoir de la neutralité carbone, il ne serait pas prudent de compter uniquement sur des espoirs de progrès technologiques pour atteindre nos objectifs écologiques et sociaux. La remise en cause globale de notre modèle économique, de nos modes de vie et l’abandon des activités qui entraînent un impact démesuré sur l’environnement est donc indispensable. Mettre en place des politiques publiques de sobriété énergétique répond à la volonté d’atteindre des objectifs écologiques et sociaux : neutralité carbone planétaire, usage soutenable des ressources, fin de l’effondrement de la biodiversité, limitation de l’impact des pollutions sur la santé humaine, etc. La sobriété énergétique doit donc d’abord cibler les activités impliquant la consommation d’énergies fossiles, plutôt que la consommation d’électricité dont la baisse peut néanmoins être un corollaire. Pour être socialement justes, les politiques publiques de sobriété doivent commencer par cibler, par incitation, obligation ou interdiction, les consommations les plus superflues, qui sont bien souvent le privilège des plus riches, ainsi que les productions industrielles qui ne visent pas à satisfaire des besoins réels ou à assurer les besoins de base de l’ensemble de la population. Si adresser prioritairement ces mesures aux plus aisés et aux entreprises facilitera leur acceptabilité, pour atteindre une ampleur suffisante les politiques publiques de sobriété devront in fine concerner l’ensemble de la population pour faire décroître suffisamment rapidement notre impact sur l’environnement.
Planifier sur le temps long pour éviter le recours en urgence à des énergies carbonées. Si le choix politique d’une sortie à la fois du nucléaire et des énergies fossiles était entériné par référendum, une planification serait impérative pour rendre la sortie du nucléaire compatible avec la neutralité carbone. Cela nécessiterait de poser plusieurs priorités, à travers la mise en place d’un organe de planification visant au déploiement massif de moyens de production d’électricité renouvelable, des politiques d’investissement en matière d’efficacité énergétique, des politiques publiques fortes de sobriété énergétique, des efforts importants de financement des preuves de concept à grande échelle . Suivre l’ensemble de ces priorités limiterait au maximum les risques d’échec de la transformation vers un système électrique 100% renouvelable et réduirait les coûts de cette transformation, ainsi que les risques d’un ralentissement du déploiement des nouveaux moyens de production d’électricité en cas de pénurie de métaux critiques. Cependant, à l’horizon d’une décennie, il est probable que nous devions choisir d’affronter une décision qui ne se résume pas à « pour ou contre » l’énergie nucléaire, mais plutôt sous la forme de l’alternative suivante : une moindre consommation électrique ou un prolongement de l’activité nucléaire. Ce choix ne peut reposer que sur le peuple souverain, c’est-à-dire par la voie consultative démocratique puis référendaire. Éviter cette alternative pour décarboner au plus vite et réussir la dénucléarisation repose donc sur la réussite des politiques de sobriété.
Mener une transition garantissant l’emploi des travailleurs du secteur. La transformation du système électrique ne peut pas se faire au détriment des travailleurs du secteur. Cela implique de faciliter le transfert d'emplois et de compétences vers les secteurs de production à l’avenir les plus fortement générateurs d’emploi, d’accompagner la reconversion industrielle des sites industriels utilisés aujourd’hui pour des activités liées aux énergies fossiles, et de mettre en place des formations diplômantes et professionnelles permettant de former aux métiers des secteurs en forte croissance et demandeurs de main-d’œuvre. Dans ce cadre, un pôle public de l’énergie unifié permettrait la mise en place des filières de formation tout au long de la vie ainsi qu’un statut unifié et équitable pour un grand nombre de travailleurs du secteur de l’énergie. Cela permettrait aussi d’embaucher selon le statut des travailleurs du pôle public les emplois actuellement sous-traités, ainsi que de réorganiser des structures de production et de distribution de l’électricité donnant plus de pouvoir aux travailleurs du secteur.
Planifier industriellement et financer la recherche. Maîtriser l’avenir de notre système électrique implique la mise en place d’une planification qui passerait par une identification rapide des moyens essentiels à la transformation du système électrique, la relocalisation et le développement d’une partie des industries concernées à travers des politiques publiques de planification industrielle et protectionnistes, le développement d’une industrie des composants électroniques nécessaire à la gestion optimisée des infrastructures, l’identification des besoins de matériaux nécessaires à la transformation du système électrique, et la mise en place de mesures diminuant la vulnérabilité de la France face à des ruptures d’approvisionnement susceptibles de causer l’échec de cette transformation. Cela nécessite également d’assurer un financement suffisant à la recherche fondamentale en matière d’efficacité énergétique, de stockage de l’électricité sur le long terme, de stabilité du réseau électrique, des composants électroniques, etc.
La rédaction de cette note a été précédée par un travail de synthèse des connaissances scientifiques sur les différents moyens de production d’électricité, rassemblées dans dix fiches techniques publiées courant 2022. Les cinq premières sont accessibles ci-dessous.