La lutte contre le chômage ressemble à Mission impossible. Soit disant tout aurait été essayé et on ne compte plus les présidents candidats s’engageant à arrêter le chômage de masse sans succès. Depuis des décennies, les gouvernements libéraux et ses économistes enchaînent les arguments fallacieux et les politiques destructrices. Mais le bilan est noir : rien ne semble fonctionner et le droit à l’emploi et donc à une vie digne est bafoué par des décennies d’un libéralisme mondialisé et destructeur. Pourtant une solution existe : la garantie d’emploi et l’État employeur en dernier ressort. Cette note en présente les enjeux et fondements théoriques. Elle en propose une déclinaison politique concrète et mobilisable facilement à partir des institutions françaises actuelles.
Janvier 2021 marque un point culminant dans l’histoire de France : jamais autant d’individus n’avaient été inscrits auprès du service public d’emploi et son opérateur central, Pôle emploi. Désormais, 6,8 millions d’individus sont enregistrés dans les fichiers administratifs comme demandeurs d’emploi. Cela représente un actif sur quatre, privé de l’usage de sa force de travail par un marché de l’emploi défectueux.
Dans le monde pur des économistes néo-classiques, ce chômage ne peut exister, parce que le travail est une marchandise comme les autres. Il suffit donc de faire varier son prix (le salaire) pour que l’offre et la demande s’égalisent. L’existence du chômage ne peut s’expliquer que par les différences entre ce monde éthéré et le monde réel. Pour réduire cet écart, il suffirait de se débarrasser de tout ce qui, dans le monde réel, fait obstacle à l’équilibre : pression des syndicats, salaire minimum, législation du travail, etc. autrement dit procéder à ces fameuses « réformes structurelles ».
Le constat est aujourd’hui que cet ensemble de théories n’est pas validé, et que les politiques qui s’en réclament ne fonctionnent pas. Les baisses de cotisations ne créent pas d’emplois, et les augmentations de salaire minimum n’en détruisent pas. Les études de l’OCDE n’ont jamais identifié de corrélation entre protection sociale et niveau du chômage. On peut même parler de désarroi parmi les économistes dominants, car leurs outils n’ont plus de prise sur la réalité. Par exemple, la courbe de Phillips s’est aplatie, autrement dit les phases de reprise de l’emploi n’ont pas d’effet sur l’inflation.
Mais outre le double gaspillage, pour la collectivité privée de bras et de cerveaux, aussi bien que pour les individus dont les qualifications et les savoirs s’estompent, ce chômage de masse est un problème sanitaire. Chaque année, le chômage tue plus de 10 000 personnes — trois fois plus dangereux que la mortalité routière ! Pourquoi une telle mortalité chez les personnes privées d’emploi ? Manque de sommeil, dépression, anxiété conduisent à des gestes irréparables ou à cesser de s’occuper de soi ; les pathologies cardiovasculaires et le stress provoquent des maladies chroniques ou des crises subites ; l’isolement empêche de les secourir à temps ; la pression institutionnelle sur le « retour à l’emploi » multiplie les accidents routiers, au volant de véhicules dégradés, âgés et moins protecteurs, entre deux entretiens d’embauche – rappelons que de nombreux assureurs automobiles surtaxent les chômeurs ! Tout un faisceau de mortalités se concentre ainsi sur les chômeurs. Lorsqu’on tue des emplois, on tue donc des personnes. La pertinence du droit à l’emploi consiste donc à tenir étroitement liées la politique économique et la politique sanitaire.
Mais un tel projet ne s’adresse pas qu’aux chercheurs d’emploi : n’oublions pas que le chômage des uns fait le profit des autres, et que le plein emploi de tous favorise la hausse des salaires. C’est le mécanisme que Marx appelle « l’armée de réserve » : plus le nombre de chômeurs est élevé, plus les salariés en poste modèrent leurs demandes, de peur d’être remplacés à moindre coût par leurs concurrents inoccupés. Mais dès lors que l’emploi au smic deviendra de droit, les petits salaires obtiendront une capacité de négociation bien plus forte. Leurs employeurs seront poussés à augmenter les salaires pour continuer à recruter : aujourd’hui, les chômeurs ont le choix entre allocation chômage ou emploi au smic ; demain, ils auront le choix entre un emploi au smic ou mieux payé.
Face à l’urgente nécessité de la transition écologique, la garantie d’emploi est un moyen rapide et efficace pour permettre à toutes et tous d’accéder à des conditions de vie dignes et pour transformer le paysage productif du pays. La bifurcation de l’activité implique de repenser la notion de métiers rentables et de créer les moyens de généraliser les métiers utiles. C’est tout l’enjeu d’un réel État social et de son pilier comme employeur en dernier ressort.