Quelle place donner au travail dans notre existence ? Comment répartir la richesse que nous produisons entre actifs et retraités ? En 1945, Ambroise Croizat déclarait : « Il faut faire de la retraite non plus l’antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie ». La Sécurité sociale naissait, contractualisant un pacte de solidarité entre générations. Depuis 30 ans, les gouvernements libéraux n’ont cessé d’attaquer ce système solidaire, reculant notamment l’âge de départ en retraite. Ils se servent d’un progrès social, l’allongement de la durée de la vie, pour justifier une perte de nos droits.
Nous refusons de perdre notre vie à la gagner. Cette note, fruit d’un travail collégial entre experts et citoyens, s’adresse à toutes les organisations politiques, associatives et citoyennes qui se revendiquent de l’héritage de la Sécurité sociale, ainsi qu’aux syndicats de travailleurs. Elle n’engage aucune organisation et se veut une contribution au débat citoyen sur les retraites. Elle pose un diagnostic rigoureux du système actuel des retraites et présente une critique lucide et sévère du projet de réforme d’Emmanuel Macron. Pour garantir à toutes et tous le droit à une retraite digne, elle propose enfin une réforme ambitieuse, chiffrée et complète du système de retraite.
Notre projet érige le maintien du niveau de vie moyen à la retraite en règle d’or qui est finançable en portant la part des retraites à 16 points du PIB à l’horizon 2040. Il aligne les règles de pénibilité par le haut. Il propose d'instaurer une liberté de partir à 60 ans en supprimant la décote, de corriger les inégalités de carrière et de garantir que plus aucun retraité ne vivra sous le seuil de pauvreté. Il propose enfin que la détermination du niveau des cotisations soit fixée selon le niveau de ressources nécessaire à la pérennité du système et à l’atteinte de ces objectifs de solidarité, en chiffrant précisément les moyens nécessaires aux objectifs assignés.
Alors que dans la zone euro, le niveau de vie des retraités est en moyenne inférieur de 13 % à celui des actifs occupés, en France, le système de retraite basé sur la répartition assure une parité inédite du niveau de vie moyen entre actifs et retraités, ainsi qu’un taux de pauvreté des retraités français le plus faible d’Europe. Les raisons de ce succès historique ? Des taux de cotisation retraite élevés, augmentant avec le nombre de personnes âgées, qui permettent à la collectivité de financer les besoins de nos ainés.
Toutefois, depuis les années 1990, les gouvernements libéraux successifs ont tous choisit de stabiliser les taux de cotisation. À l’augmentation du nombre de retraités, ils ont systématiquement opposé deux solutions : reculer l’âge de départ ou allonger la durée de cotisation, quand bien même l’espérance de vie en bonne santé à 50 ans n’augmente que peu.
Si ces trente années de réformes libérales ont assuré l’équilibre financier du système, ces réformes paramétriques nous lèguent un système éclaté et inégalitaire :
Parmi les trois options s’offrant aux décideurs publics - reporter l’âge de départ à la retraite, baisser le niveau des pensions, ou accepter d’augmenter les cotisations - l’ajustement s'est fait, depuis 30 ans, sur les deux premiers leviers. Retarder l’âge de départ à la retraite et dégrader le niveau des pensions a amplifié, à la retraite, les inégalités du monde du travail. Sans augmentation du taux de cotisation, le système actuel, confronté au vieillissement de la population et à des paramètres injustes et illisibles, fera de nouveau baisser les retraites et augmenter les inégalités. Le projet du gouvernement risque d'accentuer ces tendances.
La réforme proposée par le gouvernement, sous couvert de lisibilité et de simplicité par la création d’un régime « universel », construira un système de retraites inégalitaire consacrant la diminution des pensions ou le recul de l’âge de départ. Pour beaucoup, ce système ne suffira plus : les plus modestes se verront privés d’une pension digne et solidaire, quand ceux qui en auront les moyens la complèteront par des dispositifs de retraite privés par capitalisation.
L’universalisation promise est hypocrite et dangereuse. Dans le système envisagé, chacun cumule des points tout au long de sa carrière, qui sera converti en un montant de pension au moment de son départ à la retraite, par l’application d’un coefficient de conversion. Or, la valeur de ce coefficient évoluerait chaque année, en fonction notamment de l’espérance de vie de la génération dont la personne fait partie. Ce mécanisme généraliserait l’incertitude individuelle et repose sur une logique inégalitaire. Les aléas de la conjoncture économique pourraient faire perdre brusquement de la valeur au point, ou limiter son augmentation : on ferait alors porter le risque économique sur les individus.
Ce changement de logique du système permettrait d'atteindre un autre objectif central de la réforme du gouvernement : geler à 14 % la part des dépenses de retraites dans le PIB. Alors qu'elles seraient partagées entre une proportion croissante de personnes de plus de 65 ans du fait du vieillissement de la population, ces ressources bloquées auraient pour conséquence de diminuer le niveau général des pensions. Le "choix" individuel ne pourrait donc consister qu'en une alternative entre travailler plus longtemps ou accepter un niveau de pension plus faible. L’objectif assumé est bien de nous faire travailler plus longtemps. Le rapport Delevoye prévoit ainsi l’augmentation automatique de l’âge de départ sans décote : 64 ans pour la génération née en 1963, 65 ans pour la génération née en 1975, 66 ans pour la génération née en 1987, etc.
Ce système par point mime une accumulation sur toute la vie d’un capital qui sera rapporté à l’espérance de vie au moment du départ en retraite : il s’agit d’un système à « cotisations définies ». Son pilotage est fondé sur le rendement des cotisations et non, comme c’est le cas actuellement, sur un objectif de taux de remplacement du dernier salaire par la retraite. La baisse des droits induite par le gel de la part de richesses accordées aux retraites va donc encourager celles et ceux qui le pourront à épargner pour leur propre retraite en dehors du système public : la logique de privatisation est sous-jacente.
Sous couvert de simplification, la suppression des régimes spéciaux vise à faire diversion. Ces régimes ne concernent que 3 % de la population active et sont souvent la contrepartie de salaires plus faibles que dans le secteur privé, ou de métiers pénibles. Or, la prise en compte additionnelle de la pénibilité prévue dans la réforme reste embryonnaire. De nombreux fonctionnaires seront perdants, notamment du fait de l’arrêt du calcul du montant de la pension en prenant comme référence le traitement des six derniers mois. La prise en compte des primes n’agira pas comme une compensation pour les agents qui en perçoivent peu, notamment dans les métiers les plus féminisés, comme les enseignants et les infirmiers.
Le sort réservé aux femmes n’est pas plus glorieux : si le projet de réforme prévoit une majoration de 5 % dès le premier enfant, celle-ci est attribuable à l’un ou l’autre des membres du couple. Mieux rémunérés, il est fort probable que ce sont les hommes qui toucheront cette majoration au sein des couples inégalitaires. Le projet prévoit également de supprimer les trimestres acquis pour maternité et de reculer l’âge de disponibilité des pensions de réversion – dont 90 % des bénéficiaires sont des femmes – à 62 ans (contre 55 ans aujourd’hui) et de le conditionner au fait de toucher soi-même une pension de retraite (donc probablement encore plus tard).
Le choix d’un mode de calcul des retraites plutôt qu’un autre est, avant tout, une réponse à une question politique : quels objectifs assignons-nous à notre système de retraite ? Notre projet de réforme, fondé sur la solidarité, en propose quatre :
Nous proposons de préserver le système à prestations définies et d’affirmer comme objectif politique du système le maintien de la parité de niveau de vie entre actifs et retraités. Il est ainsi nécessaire de poser la question du niveau de vie des retraités avant celles des ressources nécessaires.
Dans une économie en perpétuelle mutation, préserver l’égalité de niveau de vie entre actifs et retraités impose de pouvoir modifier périodiquement les paramètres du système. À cet effet, nous proposons un pilotage démocratique de notre système de protection sociale : les paramètres que nous proposons pourront être adaptés, par le législateur sur décision des citoyens et sur proposition des syndicats de travailleurs, chaque fois que cela sera nécessaire.
Le financement solidaire de notre projet repose sur l’augmentation du taux de cotisation, en parallèle de l’augmentation des salaires. Le niveau de ces cotisations sera défini dans le cadre correspondant à nos objectifs politiques, de manière à garantir un système équilibré à long terme. A la logique gestionnaire de réduction continuelle des dépenses sociales, nous opposons une logique solidaire : la fixation d’un niveau de recettes permettant le financement de nos droits sociaux.
Nous aurons une retraite, elle sera solidaire, par répartition, de bon niveau et garantie par des recettes à la hauteur de ces ambitions ! Avec 16 points de PIB à l’horizon 2040, il est possible de financer le maintien de parité de niveau de vie, ce qui intègre :
Les sources de financement existent et sont nombreuses, à commencer par la fin des exonérations de cotisations (plus de 40 milliards) et la hausse des salaires et des cotisations.
Le calcul paramétrique devra être rendu plus favorable, dans le détail technique afin de revenir sur les changements injustes des réformes libérales, avec entre autres :